Bruxelles
le 31 mai 2001
Mon cher Etienne,
J'ai bien
reçu ta lettre du 30 mai et te remercie pour tes félicitations.
Je tiens à te renouveler les miennes, que je t'avais déjà
faites par téléphone. Tous les participants aux meetings
de débat de la primaire m'ont fait part de leur étonnement
devant la clarté et la pertinence de ta prestation : ils t'ont
littéralement "découvert" (ce qui n'était
pas mon cas !). Tu as parfaitement défendu les positions de ton
courant. Je persiste à penser que ton score un peu décevant
résulte du choix de te présenter " au nom du courant
Vert Ecolo", alors que l'exercice consistait à montrer sa
capacité à parler au nom de tous les Verts, sans cacher
sa propre sensibilité sur le fond.
Tu me poses trois questions que tu penses non consensuelles. Je n'en suis
pas si sûr. Les deux candidats diront exactement ce que dit le mouvement,
c'est en tout cas ce que je ferai. La différence ne portera pas
non plus sur "l'audience média". Le CSA, et les médias
écrits spontanément, donneront largement la parole au candidat
vert, quel qu'il soit. Depuis que mon élection apparaît plausible,
les médias mettent à mon égard les bouchées
doubles (parfois avec une dramatisation inutile), et depuis le premier
tour j'ai déjà fait plusieurs émissions de télé,
de radio, j'ai accordé une dizaine d'interviews aux journaux
La différence entre nous ne jouera que sur la capacité à
porter le discours vert dans les médias, avec pédagogie,
avec flamme, avec compétence, avec sincérité. Je
pense avoir sur ces critères un certain avantage, qui peut se traduire
à l'arrivée par plusieurs points de plus en faveur du candidat
vert. Simplement parce que ce programme, que Noël et moi connaissons
aussi bien l'un que l'autre, j'ai participé avec vous à
son élaboration depuis des lustres, j'en connais les chausse-trappes,
les exemples positifs, les effets pervers possibles et comment les parer.
Ce qui me permet non seulement de convaincre, mais de donner l'envie d'être
convaincu(e). Ma formation d'enseignant, y compris dans les mouvements
associatifs d'éducation populaire, me permet d'expliquer les choses
les plus difficiles et controversées. Et mon passé témoignera
de ma constance dans ces choix, sans laisser à l'adversaire la
possibilité d'opposer mes actes et mon discours.
Néanmoins,
j'accepte volontiers de me prêter au jeu de tes questions.
1-
Quelle proposition soumettrez-vous aux Verts s'il n'y pas la proportionnelle
aux élections législatives de 2001 ?
Je pense
d'abord que la première partie de ma campagne (jusqu'en novembre
?) doit viser
à ce qu'il y ait la proportionnelle en 2001
! Cette bataille ne doit pas être abandonnée, et chaque jour
les difficultés de la majorité plurielle renforcent la pertinence
de cette proposition qui rendrait les choses plus faciles. Je crains même
qu'un jour le PS ne cède sur les élections et renvoie le
programme au
discours d'investiture du Premier ministre après
les élections ! Or, pour Les Verts, il est essentiel de se battre
d'abord sur la "politique des contenus ". Nos élus ne
doivent être qu'un sous-produit de la conquête de la majorité
culturelle.
Certes, la proportionnelle est pour nous un moyen d'obtenir à l'Assemblée
un poids à la mesure de notre influence dans la société,
et ainsi d'obtenir le respect des accords. Mais, au-delà, elle
matérialise notre conception de la démocratie : non pas
un système où une majorité " ramasse tout le
pouvoir " , mais un système qui oblige à rechercher
en permanence le bien commun par le dialogue. Même quand nous serons
le parti dominant d'une coalition majoritaire, nous continuerons donc
à défendre la proportionnelle.
Mais bon, le PS étant ce qu'il est et Lionel ce que nous savons,
il faut en effet répondre à ta question. En novembre, s'il
n'y a pas la proportionnelle, je m'opposerai à tout accord qui
ne nous garantirait pas un certain nombre de contenus (ceux que tu évoques
dans ta lettre, et quelques autres, tels que : la programmation de la
décroissance du CO2, la loi Tiers secteur, etc
) avec la garantie
raisonnable d'un groupe parlementaire vert pour contrôler son application.
J'ai conscience que c'est jouer avec le feu, car les électeurs
pourraient ne pas nous pardonner de faire repasser la droite. Mais, si
les contenus n'y sont pas, nous ne devons pas perdre notre âme.
C'est la stratégie que nous jouons depuis des années à
Villejuif, contre une union de la gauche qui ne veut rien entendre, et,
malgré des dénonciations hystériques sur le thème
"Verts de gris", nous y sommes passés en 5 ans de 9,8
à 23 % !
Mais, encore une fois, tout mon effort des prochains mois visera à
empêcher cette éventualité, et je pense que nous aurons
la force de gagner cette bataille comme nous en avons gagné d'autres.
2 -
Le processus de Matignon sur la Corse a permis des avancées importantes
sur la régionalisation, mais a dynamité la loi Littoral.
Pensez-vous que le jeu en valait la chandelle? Ce processus doit-il être
étendu à toutes les régions de France au risque de
reculs importants sur des lois de protection des espaces naturels ?
D'abord,
l'enjeu n'est pas seulement la régionalisation, mais la paix, la
sortie honorable du cycle des violences, la reconnaissance d'un peuple
sans Etat, un pas vers l'Europe des régions et des peuples solidaires.
Maintenant que Libération a vendu la mèche, on commence
à savoir le rôle que les Verdi Corsi, le MATE, et moi-même
en tant qu'émissaire et "idéologue de la Corse, région
d'Europe", avons joué dans le basculement de la ligne Chevènement
à la ligne "Matignon", et dans le courageux ralliement
des nationalistes à la négociation. Tout ne peut encore
être raconté. A Alain Bougrain-Dubourg, de la LPO, qui me
posait la même question, j'ai donné quelques unes des explications
qui suivent, et il m'a dit "mais pourquoi ne pas avoir communiqué
sur tout çà ?". Il y a des moments, dans une négociation,
il faut savoir ne pas la ramener. Ici, je vais être un peu long,
mais ça me servira de " mémoire ".
a) En Corse
Il faut savoir
d'abord que, du temps de Chevènement, le démantèlement
de la loi Littoral était déjà prévu comme
un os donné à ronger aux "corsistes ". Cette conjoncture
avait permis à Séguéla et au Prince Napoléon
de lancer avec l'Université de Corte une opération "pour
un développement écologique " de la Corse, fondé
sur le tourisme
implicitement immobilier. Nous sommes parvenus à
déminer l'opération. Je suis intervenu très vigoureusement
à un colloque organisé par l'Université de Corte,
et mon intervention est devenue par la suite le cadre du débat.
Je me suis répandu dans les médias corses (y compris France
3), expliquant que "si Pascal Paoli avait eu à rédiger
une loi Littoral, il aurait rédigé l'actuelle loi française,
car c'est une loi d'inspiration méditerranéenne, qui exclut
le mitage du littoral ".
En fait, mes liens avec JG Talamoni remontaient à la campagne européenne.
Nous étions tombés d'accord que l'on pouvait rejoindre les
aspirations nationalistes (une Corse dans l'Europe) par une régionalisation
de la France et une fédéralisation de l'Europe. Par la suite,
il m'avait fait auditionner (en présence des corps constitués
corses) par sa Commission des affaires européennes, et invité
à préfacer le rapport de cette commission. La revue des
souverainistes Bastille Nation République a commenté cette
prose avec dégoût. On trouve cette
préface sur mon site houèbe . Il va de soi que j'y mettais
déjà en garde contre une remise en cause des lois de protection
des espaces naturels.
Toute cette activité préparatoire avait renforcé
l'estime qu'avaient déjà pour moi, depuis des années,
les milieux autonomistes, indépendantistes et environnementalistes,
qui en Corse, depuis l'affaire fondatrice des "boues rouges"
de la Montedison, sont souvent les mêmes : I Verdi Corsi, MEI, associatifs
de protection de la nature, etc
Bref, on arrive au processus de Matignon. Les associatifs, Les Verts,
etc, créent un comité pour la défense du littoral,
et amènent les élus de Corsica Nazione à s'y rallier.
Dans le cours du processus, Matignon re-propose le fameux "démantèlement".
La position des Verts Corses, de Corsica Nazione, et la mienne, est claire
: il faut une dévolution, à l'Assemblée Corse, de
la loi Littoral en l'état. A elle de la modifier
si elle
l'ose ! car le peuple corse ne peut que souhaiter une loi plus protectrice.
Mais les intérêts qui s'agitent en coulisse imposent de la
faire démanteler en France, par les députés français,
ce qui donnerait carte blanche aux élus municipaux corses "
bétonneurs ".
Pour contourner le piège, le Comité Littoral corse et à
nouveau l'Université de Corte organisent (le mois dernier) un nouveau
colloque entièrement sur la loi Littoral, avec des scientifiques
naturalistes, des acteurs du développement local " soutenable
" , et moi.
Mais le piège législatif est refermé. A l'Assemblée
corse, les élus nationalistes ne peuvent voter contre Matignon,
qu'ils ont voulu. Donc il ne leur reste qu'à redurcir la loi Littoral.
Des amendements sont mis au point en commun par I Verdi Corsi, les associatifs,
et défendus à l'Assemblée corse par JG Talamoni et
ses élus. Ils sont ensuite re-défendus à l'Assemblée
nationale française par Noël Mamère, et pour la plupart
rejetés. On en est là, et on attend la prochaine lecture
au Parlement.
b) En
France
Il serait
artificiel de plaquer le schéma corse sur toutes les régions
de France. Il y a en Corse un peuple sans État. Mais l'Alsace,
par exemple, conserve déjà des spécificités
qui vont bien au-delà de l'accord de Matignon. Le degré
d'autonomie n'a pas besoin d'être le même pour toutes les
régions.
Il faut pourtant se saisir du cas corse pour élargir la brèche
et avancer dans la direction du système institutionnel régionalisé
qui est celui des Verts depuis l'AG de Chambéry. Contrairement
à ce que dit Chevènement, il ne s'agit nullement de démanteler
l'idéal républicain ! Pour nous, la République française,
et déjà l'Union européenne, doit faire prévaloir
partout des lois fixant un cadre de démocratie, de responsabilité
écologique, de solidarité, d'autonomie véritable.
Ces lois instituent des règles de non-concurrence et de solidarité
entre les régions, des lois de protection des droits de la personne
et des peuples, de promotion du développement soutenable, y compris
des directives du type Natura 2000, loi Littoral, loi Montagne, etc. C'est
aux régions, ensuite, de légiférer localement pour
les mettre en uvre.
Inverse est la logique de Chevènement : pour lui, la République
s'incarne dans un schéma institutionnel, et non dans son contenu.
C'est l'Assemblée nationale française qui démantèle
la loi Littoral, comme elle a organisé, avec la loi Gayssot votée
par Chevènement le démantèlement du droit de l'urbanisme,
droit dont tu avais usé avec virtuosité, cher Etienne, pour
défendre le cadre de vie des Lyonnais !
Oui à la République des droits des étrangers et du
développement soutenable, non à la république du
centralisme bureaucratique : c'est ce que je compte dire à Chevènement,
dès le 10 juin, dans notre débat prévu sur France
3 dans l'émission de Christine Ockrent.
3 -
À l'identique de la fermeture de Superphénix obtenue dans
les accords de 97, êtes-vous d'accord pour demander, dans les accords
de 2002, l'arrêt du retraitement à La Hague et l'arrêt
de la fabrication du mox ?
L'abandon
du retraitement et du mox fait aujourd'hui presque consensus
Le rapport
Charpin-Dessus-Pellat (le plan, le CNRS et le CEA!) aboutit clairement
à cette conclusion (voir à ce sujet mon article
publié dans Global Chance). C'est donc le moins que l'on puisse
faire que de l'inscrire dans l'accord.
Mais il faut aller beaucoup plus loin ! Il faut un plan à long
terme de sortie du nucléaire, avec un programme précis pour
la prochaine législature :
1 - Bien sûr, abandon du mox et de Melox (et donc du retraitement).
Adhérent du comité "Stop-Melox", je soutiens d'ailleurs
la pétition de ce comité pour que l'arrêt de Cadarache
(pour insuffisances des normes parasismiques !) ne soit pas l'occasion
de reconstruire les ateliers à mox à Marcoule ou ailleurs.
2 - Révision de la loi Bataille avec abandon de l'option "enfouissement
profond". Ce point est aussi incontournable. Notons que l'abandon
du retraitement n'entraîne qu'une hausse d'à peine 10% du
volume à stocker !
3 - Abandon définitif du réacteur de nouvelle génération
EPR.
4 - Création d'un Commissariat à l'énergie renouvelable
doté de moyens équivalents à ceux du CEA.
5 - Fermeture d'une ou deux centrales.
L'obstacle, il faut en être conscient, c'est le poids de deux lobbies
: l'EDF et la CGT-énergie.
* Concernant le premier, j'ai rencontré le 29 mai, à sa
demande, le directeur international d'EDF, Christian Stoffaës. Il
m'a confié qu'EDF était en cours de révision de sa
politique, et serait prête à afficher un objectif de retour
à 50 % de la part du nucléaire dans son électricité.
Il est clair que désormais les intérêts du lobby électrique
divergent de ceux du lobby nucléaire. Cet objectif de 50 % permet
d'entrevoir une évolution de l'autre lobby : la CGT. Car, les autres
techniques étaient plus gourmandes en main d'uvre, les intérêts
d'une majorité de travailleurs d'EDF seraient ainsi détachés
du nucléaire.
* Or, depuis des années, notamment via l'Association des Ingénieurs,
Techniciens et Chercheurs et sous le patronage de Benjamin Dessus, j'entretiens
un dialogue difficile avec la CGT-EDF. Il m'est apparu clairement que
la question du volume d'emplois EDF était essentielle. Je martèle
donc deux arguments : " 1 - Vous êtes mariés à
l'électricité, pas au nucléaire. 2 - Vous n'êtes
même pas mariés à la production d'électricité,
mais au " service d'électricité ". Les agents
d'EDF, s'ils veulent être reconnus comme un vrai "service du
public", doivent aussi assumer la tâche d'aider les ménages
à économiser l'électricité. Cela créera
beaucoup plus d'emplois ! ".
C'est par ce type d'argumentation, en cherchant à convaincre, en
cherchant les failles, en prenant en compte les angoisses de ceux qu'une
"politique écologiste " semble menacer, que je compte
faire avancer, avec ton aide, les idées des Verts au cours de ma
campagne présidentielle.
Avec toutes
mes amitiés, cher Etienne.
Alain
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